
Quelle place pour les émotions dans l'enseignement ?
Il est 11h, la pause semble déjà loin derrière et la matinée n'est pourtant pas terminée. Voici que certains élèves ne tiennent plus en place. La patience a déjà été mise à rude épreuve au préalable; les rappels à l'ordre s'enchainent, différentes modalités sont testées en raisonnant les enfants, en les menaçant et finalement c'est l'explosion... la punition collective tombe: la sortie prévue à la fin de la semaine est annulée.
Entre culpabilité et colère, les émotions s'alternent... pour l'enseignant, mais aussi pour les élèves.
Quand le calme intérieur devient une injonction
Entre le devoir de garder son calme et la réalité du terrain, beaucoup d’enseignants se sentent coupables d’éprouver de la colère ou de la fatigue. Ils prennent des décisions sur le coup de l'émotion que parfois ils regrettent. J'entends souvent: "On nous apprend à gérer une classe, rarement à accueillir nos émotions. Alors qu'en faire? Comment les canaliser, comment y faire face ou les faire baisser?"
Je vous propose quelques éléments pour mieux comprendre ce qui se passe derrière les volcans et les montagnes russes parfois perçues chez nos élèves et d'autre fois en nous-mêmes.
Comprendre ce qui se joue dans nos émotions.
Tout d'abord, il faut rappeler ce que sont les émotions. Ces dernières ont trois composantes difficiles à discerner au moment où elles sont vécues: le corps, l'émotion elle-même et le mental. L'aspect corporel, c'est ce que le corps ressent ou produit comme sensation: sueur, le coeur qui accélère, crispation de la mâchoire, vague de chaleur, etc. Selon ce qui est vécu, les sensations seront bien différentes. Les émotions peuvent être catégorisées en groupe: telles que celui de la joie, de la colère, de la peur et de la tristesse. Des nuances vont permettent de sous-catégoriser les émotions: Par exemple, l'angoisse et la frayeur font parties du groupe de la peur. Le troisième aspect est celui de la pensée, comme les associations d'idée, les souvenirs, etc. Ces trois aspects interagissent ensemble, s'entrechoquent même, et peuvent amplifier la puissance de l'émotion, comme un cercle vicieux; d'où l'impression pour certaines personnes de vivre une "tempête interne". Le déclencheur de l'émotion est un stimulus externe qui est très rapide et qui met en route un enchainement de réactions extrêmement rapides avec certains phénomènes chimiques.
À quoi servent les émotions ?
Les émotions sont très utiles pour nous aider à comprendre notre fonctionnement, nous aider à faire des choix ou nous protéger. Cela nous permet d'avoir une sorte de feed-back. Par exemple, la colère peut signaler un risque de dépassement de limites et la peur un besoin de sécurité. Le risque est que par mécompréhension de ce phonème, l'humain cherche à s'en protéger lorsque cela amène un vécu difficile, notamment pour les émotions dites "négatives", telles que la colère, la peur et la tristesse. Pour cela, des mécanismes s'installent pour les inhiber. Des décisions malheureuses sont parfois prises dans le but de fuir ses émotions ou sont guidées par celles-ci. Les émotions sont là, bien présentes dans nos vies. Elles font parties intégrantes de notre fonctionnement humain. Il est donc plus judicieux d'apprendre à les apprivoiser, apprendre à les accueillir et même leur faire une place plutôt que les occulter. Dans le rôle de l'enseignant, c'est utile de comprendre le fonctionnement des mécanismes émotionnels pour interagir avec les collègues, avec les élèves et les parents d'élèves. L'enseignement se trouve au coeur d'interactions humaines, bien au prise avec les émotions, car de nombreux enjeux sont présents pour les différents acteurs de l'école avec des décisions à prendre, des peurs pour certains qui sont activées ou réactivées: la peur de l'échec par exemple.
Nos émotions ne nous définissent pas
Je trouve qu'il est important de souligner que l'émotion vécue à l'instant T ne te qualifie pas en tant que personne. Elle est présente à ce moment, certes, mais elle n'est pas toi. En tant que personne, tu es un tout. L'émotion est un outil qui est là pour indiquer quelque chose, un élément à prendre en considération et qui parle de ton Toi plus profond.
On peut donc considérer que les émotions sont des messagères : elles nous parlent de nos besoins, pas de nos faiblesses. Il est aussi utile à mon sens de noter que pour un même événement, on peut ressentir plusieurs émotions différentes ou à des degrés différents selon le contexte. Par exemple, si on vient de vivre un week-end particulièrement difficile et qu'on se trouve en face de la situation donnée en exemple en préambule, la réaction ne sera pas la même que si on revient d'un petit séjour très reposant et relaxant. Notre état de fatigue, la récurrence d'événements ou notre histoire personnelle amènent tout un panel de facteurs qui influencent le contexte. Le risque est celui du schéma qui se répète, qui enferme dans un mécanisme et l'impression de ne pas réussir à s'en sortir à chaque fois que le déclencheur active le système. Certaines peurs peuvent être activées. Cela nous rend aussi plus sensibles à certains déclencheurs.
Et si au lieu de chercher à "gérer" nos émotions, on apprenait à les écouter ?
Un petit défi pour cette semaine
Tu as besoin d'un petit défi? Je te propose pour la semaine qui vient d'observer ce qui se passe en toi quand tu vis une émotion. Quelle soit agréable ou non, prends le temps de t'arrêter quelques instants. Tu peux te dire : "Ok, je vis cette émotion. Elle est là, je n'y peux rien. Que se passe-t-il en moi? quelles sont les sensations physiques, où cela se situe-t-il dans mon corps? Quelles sont mes pensées qui viennent ? Quelle est émotion que je ressens, de quelle intensité, comment je pourrais la nommer?"
Pour aller un peu plus loin, on peut mettre par écrit ces constats et se poser la question suivante: “Qu’est-ce que cette émotion essaie de me dire? "
Prendre conscience de ses émotions, c'est faire le premier pas pour les accepter, leur laisser une place et petit à petit apprendre à les comprendre. J'encourage vivement à se faire accompagner quand on constate des récurrences et qu'on veut sortir de schémas répétitifs. C'est important de ne pas rester seul face à des émotions qui submergent ou qui envahissent régulièrement notre vie.
Conclusion
Apprendre à écouter ses émotions, c’est aussi apprendre à se respecter, puis mieux respecter les autres.
Et si c’était là le premier pas vers plus de fluidité dans ton quotidien pro ?
En cas d'intérêt sur la question des émotions, pour aller plus loin, je te partage un épisode que j’ai trouvé particulièrement éclairant sur le lien entre émotions et gestion de classe, édité par Emilie Le Phat Tan, enseignante et coach professionnel, les références d'un petit livre très utiles pour mieux comprendre les émotions et finalement cet article sous forme de document à télécharger agrémenté de quelques exercices pratiques.
A bientôt
Estelle Dutoit, fondatrice de PauseMeta
- Lien du podcast par Emilie Le Phat Tan, enseignante et coach professionnel. https://mestrucsdeprof.fr/ep-164-emotion-gestion-de-classe/
- Livre - Cruzille, L. Être libre des émotions, 10 clés pour vivre en pleine conscience. (2018). Éditions L'Alchimiste. Genillé/France
- Article - PDF à télécharger (article et exercices pratiques) https://pausemeta.ch/data/files/articleblog_oct25_emotions.pdf